Les tiraillements entre la Turquie et l’Arabie se répercutent au Liban

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En dépit de ses problèmes internes et du fait que l’année 2013 sera quasiment une année électorale, la Turquie est en train de devenir un pôle d’attraction pour le monde arabe.
Le processus avait commencé avec l’affaire du bateau Marmaris qui voulait forcer le blocus imposé à Gaza, mais il s’est poursuivi avec le déclenchement de ce qu’on appelle le printemps arabe et s’est accentué avec le début de la révolte en Syrie. Au point qu’aujourd’hui, nul ne parle de la Ligue arabe dont le rôle est pratiquement neutralisé par Ankara. Le phénomène pourrait rester régional, mais en raison de l’implication du Liban dans toutes les questions régionales, il subit des répercussions évidentes sur la situation interne, en commençant par le dossier des pèlerins chiites enlevés en Syrie pour finir avec les tiraillements sur la scène sunnite, qui oscillent entre Ankara, Riyad, Doha et Le Caire.
Un diplomate arabe en poste au Liban explique ainsi que l’influence grandissante de la Turquie dans le monde arabe s’inscrit dans le cadre du nouvel ordre régional en train de se mettre en place. Ce pays devient ainsi une sorte de chef de file du changement dans la région qui a commencé à Tunis, au Caire, à Rabat, à Sanaa, à Tripoli et devrait se poursuivre à Damas et peut-être bientôt à Amman.
Les deux pays hors de ce mouvement sont le Liban et l’Arabie saoudite (avec les petits États du Golfe), le Liban parce qu’il est nécessaire de le maintenir à l’abri en raison de la complexité des enjeux et du fait que tout changement dans ce pays impliquerait aussi l’Iran et l’Arabie saoudite parce qu’elle pèse elle aussi en faveur du changement en Syrie. Mais, toujours selon le diplomate arabe, une rivalité commence à apparaître entre la Turquie et l’Arabie saoudite au sujet des courants islamistes en train de s’imposer dans les pays de la région. Depuis sa fondation, le royaume wahhabite a été considéré comme le leader du monde islamique d’autant qu’il abrite deux des lieux saints musulmans. Depuis des décennies, les musulmans du monde prient cinq fois par jour tournés vers La Mecque qui abrite le tombeau du Prophète. Mais désormais, ce rôle de leader du monde islamique est disputé par la Turquie qui veut elle aussi prendre la tête du monde musulman. D’ailleurs, avec le parti d’Erdogan et de Gül au pouvoir, la Turquie est devenue en quelque sorte le chef de file des Frères musulmans qui sont en train de prendre le pouvoir en Tunisie, en Égypte, en Libye, en Palestine et dans d’autres pays. Ce phénomène n’est pas pour plaire à l’Arabie saoudite, où l’ancienne animosité entre les Frères musulmans et les wahhabites s’est réveillée. Le diplomate arabe insiste sur ce point en révélant que cette rivalité se manifeste sur le terrain, en Syrie entre les différentes factions de l’opposition, mais aussi en Jordanie, au Koweït… et au Liban, où la scène sunnite connaît de plus en plus de divergences internes, tiraillée entre les deux courants rivaux.
Il est en effet de plus en plus clair que le courant du Futur en particulier et le 14 Mars en général sont appuyés par l’Arabie saoudite et suivent les conseils du royaume. Par contre, les groupes salafistes dans leur grande diversité sont parfois directement d’obédience turque et parfois indirectement, via le Qatar, l’Égypte ou un autre pays arabe. En réalité, l’Arabie saoudite est le seul pays arabe capable de menacer le leadership islamique de la Turquie, avec l’instabilité en Égypte et le déclin de l’Irak, qui n’en finit plus de subir les conséquences de l’invasion américaine de 2003 et des rivalités entre ses différentes composantes sociales, chacune bénéficiant d’un appui étranger. Dans ce contexte, l’Arabie saoudite sent peser sur elle une double menace. La première repose sur la crainte d’une contagion du changement dans les pays arabes et la seconde est causée par les appétits de la Turquie. Riyad craint à cet égard que le Liban – où elle a toujours eu une grande influence – ne soit utilisé, ainsi que la Jordanie et le Koweït, pour la déstabiliser et réduire son influence, d’autant que la position de l’Arabie est claire depuis la mise en place d’un nouveau régime en Irak. Les Saoudiens affirment ainsi régulièrement que le monde musulman (sunnite) a perdu l’Irak, il doit donc garder le Liban et obtenir la Syrie. Si les Turcs veulent aussi la même chose, ils préfèrent toutefois être, eux, les leaders. Ce qui annonce, selon le même diplomate arabe, de nouveaux tiraillements en cas de chute du régime syrien au profit d’un pouvoir que se disputeront les nombreuses factions de l’opposition. Et le Liban, qui reste la caisse de résonance privilégiée du monde arabe, ne pourra que subir les conséquences de ces tiraillements à la veille d’élections législatives que les deux camps internes qualifient de cruciales.
Par Scarlett HADDAD | jeudi, décembre 27, 2012
source :
http://www.lorientlejour.com/category/%C0+La+Une/article/793892/Les+tiraillements+entre+la+Turquie++et+l.html

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