Après 35 ans de détention, justice n’est toujours pas rendue à Leonard Peltier, militant amérindien des droits de l’homme. Victime d’un complot du FBI ? Aujourd’hui, ONG et défenseurs des droits de l’homme réclament toujours sa libération. Et le renouveau de la politique indienne, anoncé par Obama, ne semble pas modifier cette affaire.
Les prisonniers politiques ont souvent ceci de commun qu’ils voient la raison de leur détention occultée par les autorités. Ainsi en va-t-il pour Leonard Peltier : selon la justice américaine, il s’agit d’un détenu de droit commun coupable d’un double homicide, et condamné à ce titre à la prison à perpétuité. Pour ses soutiens, en revanche, la condamnation du militant amérindien est politique.
C’est le 6 février 1976 que Leonard Peltier fut arrêté au Canada, puis transféré aux Etats-Unis, et condamné pour le meurtre de deux agents du FBI, au terme d’un procès contesté. Avec 35 années derrière les barreaux, il aura passé plus de la moitié de sa vie en prison. Membre de la tribu des Lakotas, ces fiers guerriers des plaines que la culture populaire associe à la conquête de l’Ouest, celui qui a été surnommé le « Mandela Américain » (dont il bat de huit ans le triste record de détention politique) a toujours plaidé son innocence. Sans succès, jusqu’à présent. En dépit des révélations qui, au fil des années, ont peu à peu discrédité la version officielle du FBI.
Témoin et victime de l’Histoire
Au début des années 1970, les tribus amérindiennes des Etats-Unis sont en effervescence : alors qu’elles ont vécu, depuis la fin des guerres indiennes, dans le déni de leurs traditions, elles renouent peu à peu avec leur fierté ancestrale. La politique d’assimilation mise en place à partir de 1949, qui visait à encourager les Indiens à quitter les réserves pour s’installer en ville, n’a pas eu l’effet escompté : loin de couper les Indiens de leur culture, elle a au contraire contribué à favoriser les contacts entre individus de différentes tribus. Créant ainsi une identité commune, propice à un renouveau culturel. Mais leur situation sociale reste catastrophique, et ils demeurent victimes de discriminations quotidiennes, en particulier aux alentours des réserves.
C’est dans ce contexte qu’est créé l’American Indian Movement (AIM), défenseur radical des autochtones. Avec d’autres groupes, il lance des actions symboliques destinées à attirer l’attention sur leur condition : occupation de la prison d’Alcatraz, participation à la « piste des traités violés », gigantesque marche partant des réserves pour arriver à Washington, qui aboutit à l’occupation du Bureau des Affaires Indiennes… L’action la plus fameuse sera l’occupation en 1973 du village de Wounded Knee, dans la réserve Lakota de Pine Ridge (Dakota du sud) – le site de l’ultime massacre perpétré par l’armée américaine sur 300 civils lakotas – par plusieurs centaines de sympathisants de l’AIM.
Cette action spectaculaire propulsera pour un temps les Amérindiens sur le devant de la scène médiatique. Le village occupé est rapidement bouclé par le FBI, malgré le soutien des habitants à la cause des autochtones. Les échanges de tir causeront la mort de deux activistes de l’AIM. Outre les revendications socio-économiques et culturelles, les militants réclamaient la démission de Dick Wilson, président corrompu du Conseil Tribal de la réserve, qui faisait régner la terreur à l’encontre des sympathisants traditionnalistes. La répression qui suivit cet incident de Wounded Knee fut impitoyable : en trois ans, plus de soixante militants de l’AIM furent assassinés par les milices indiennes pro gouvernementales de Wilson (les « Goons »), soutenues par le FBI.
C’est dans ce contexte violent que se produit en juin 1975 la fusillade qui conduit à la mort d’un activiste de l’AIM et à celle de deux agents du FBI, qui sera attribuée à Peltier. Arrêté au Canada, puis extradé aux Etats-Unis, il sera condamné en 1977 à la détention à perpétuité, par un juge connu pour ses positions hostiles aux Amérindiens.
Si le rôle de Peltier dans la fusillade reste flou, l’examen du dossier jette le doute sur sa culpabilité. D’abord, plusieurs déclarations de témoins, déterminantes dans l’inculpation de Peltier, ont été plus tard reconnues fausses. Ensuite, des preuves à décharge ont été dissimulées au Jury. Quant aux trois personnes impliquées dans la fusillade, elles ont été acquittées suite à leur témoignage contre Peltier, alors que des preuves existaient à leur encontre. De plus, l’expertise balistique a confirmé que l’arme attribuée à Peltier ne correspondait pas à celle qui a tué les agents. Enfin, les avocats de Peltier se sont vus refuser l’accès à six mille pages du dossier d’accusation, classées « secret défensee. Peltier a très vraisemblablement été condamné pour une raison politique.
Depuis quelques années, le militant amérindien était en effet devenu l’homme à abattre. Acteur de moments forts du réveil de la conscience indienne, il jouait un rôle essentiel au sein de l’AIM. Il était à ce titre placé sur la liste du COINTELPRO (Counter Intelligence Program), réseau crée par le FBI visant à “exposer, perturber, discréditer, ou neutraliser les activités des mouvements dissidents et leurs chefs “[1] , et notoirement connu pour l’usage de méthodes extra légales. Il avait par ailleurs été victime de plusieurs tentatives d’intimidation de la part des forces de police fédérales et locales, et avait été acquitté suite à une affaire de meurtre montée de toutes pièces. Tout ceci expliquant sa réticence à se livrer à la Justice après la fusillade de 1975. En attribuant ces meurtres à Peltier, le FBI espérait porter un coup fatal à la résistance indienne, tout en trouvant un bouc émissaire pour la mort des agents du FBI.
Soutien international, intransigeance judiciaire
Face aux nombreuses zones d’ombre du dossier et à la nature politique de son incarcération, un vaste mouvement de soutien s’est créé en faveur de la libération de Léonard Peltier. Aux Etats-Unis, le mouvement dépasse clairement les communautés autochtones : outre de nombreuses personnalités du paysage audiovisuel américain, plusieurs députés et sénateurs ont réclamé une révision du procès. Le président Bill Clinton lui-même reconnut en 1996 que le procès devait être revu, même si cette déclaration ne fut pas suivie d’effet.
Des figures internationales de poids ont également défendu Peltier, notamment les prix Nobel de la paix Rigoberta Menchú, Desmond Tutu, et Nelson Mandela. Des ONG comme Amnesty International le considèrent comme un prisonnier politique, et réclament à ce titre sa libération. Même l’Union Européenne s’est prononcée, à travers plusieurs votes du Parlement de Strasbourg, pour une révision de ce procès. Un exemple suivi par plusieurs parlements nationaux, notamment en Belgique et en France. Ces prises de positions s’assortissent souvent de considérations humanitaires, compte tenu des conditions de détention déplorables qui ont contribué à aggraver l’état de santé de M. Peltier. Depuis 2004, il fut nominé six fois pour le prix Nobel de la paix.
Même au sein de l’appareil judiciaire américain, des voix se sont élevées pour reconnaître le caractère inéquitable du procès. Déjà en 1985, le procureur Lynn Crooks admit devant la 8ème Cour d’Appel “ne pas savoir qui a tué ces agents “[2]. L’année suivante, la Cour, bien que rejetant l’appel de Peltier, reconnut que le juge en charge du dossier s’était égaré dans son jugement de 1977, et souligna la pression sur des témoins, les faux témoignages et la dissimulation des preuves à décharge. En 1995 enfin, l’officier chargé d’instruire le dossier Peltier devant la commission de libération sur parole précisa dans son rapport qu’il n’existait aucune preuve directe contre Peltier, et qu’il était impossible d’imputer les meurtres à qui que ce soit. Autant d’arguments qui laissèrent de marbre la commission, qui a jusqu’à présent systématiquement refusé de rouvrir le dossier.
Face à l’ampleur des soutiens et aux controverses entourant son procès, on peut s’interroger sur les raisons de l’intransigeance des autorités judiciaires. La plus évidente semble être la volonté de préserver leur crédibilité. En 1993, la commission de libération sur parole motiva son verdict négatif par le refus de Peltier d’avouer les faits reprochés. Argumentaire curieux, puisqu’assimilant l’innocence à un statut juridique plutôt que reposant sur des faits matériels. “Se proclamer innocent, c’est suggérer que le gouvernement a tort”, affirme Léonard Peltier dans une lettre ouverte. “Une telle insolence est invariablement punie par des réquisitions du ministère public en faveur de peines maximales” [3].
A cet argument juridique s’ajoute le malaise évident que constituerait pour les autorités américaines l’aveu d’un jugement purement politique. ” Aux USA, il ne peut par définition pas y avoir de prisonniers politiques. (…) Il est jugé trop controversé ne serait-ce que d’envisager publiquement que le gouvernement fédéral pourrait fabriquer et supprimer des preuves pour provoquer la défaite de ceux qu’il considère comme ennemis politiques”, ajoute Peltier.
Autre souci : éviter de remuer les fantômes d’un passé peu glorieux pour les autorités américaines. Une révision du cas Peltier forcerait en effet ces dernières à se pencher sur leur répression menée à l’encontre des Indiens traditionnalistes des réserves. Et sur les actions peu avouables des services de sécurité intérieure dans le cadre du COINTELPRO.
S’ajoute un facteur purement politicien. Dans une Amérique du « Midwest » conservatrice et marquée par le mythe de la Frontière, la réputation de chasseur d’Indien peut servir une carrière politique. Ainsi, l’ancien gouverneur du Dakota du Sud se vanta-t-il d’avoir su convaincre le président Clinton, réputé proche des Amérindiens, de renoncer à grâcier Peltier. Cette présence de forces politiques hostiles aux autochtones est un élément non négligeable dans l’obstination sur le cas Peltier.
Devant l’impasse juridique, le comité de soutien de Leonard Peltier s’est concentré sur la demande d’une grâce présidentielle. Grâce jusqu’à présent rejetée par tous les présidents. Les regards sont maintenant braqués sur l’attitude du président Obama.
La politique indienne d’Obama : Changement ou continuité ?
Lors de la campagne présidentielle de 2008, le candidat Obama était allé le plus loin dans ses propositions visant à améliorer le sort des Amérindiens. “Je sais ce que c’est que de lutter […] combien de fois on vous a oubliés, tout comme les Noirs ou d’autres groupes dans ce pays. Parce que j’ai vécu cela, je ne vous oublierai pas”, affirmait-il lors d’une réunion avec des chefs tribaux dans le Dakota du Sud[4]. La candidature de celui qui sera surnommé « aigle noir » par la tribu des Crows du Montana va bientôt susciter un enthousiasme inédit chez les nations indiennes, pourtant habituées aux discours creux de campagnes électorales et aux promesses non tenues.
De fait, des évolutions notables ont été constatées depuis l’entrée en fonction de la nouvelle administration américaine. Ainsi, deux promesses de campagnes symboliquement fortes furent tenues : l’organisation d’une réunion annuelle des chefs tribaux avec le président des Etats-Unis, et la création d’un poste de conseiller spécial aux affaires indiennes. Des propositions accueillies plutôt favorablement par les autochtones, car elles permettent de contourner l’impopulaire Bureau des Affaires Indiennes. De même, le nouveau président a mis fin à un contentieux de plus d’un siècle : la gestion des ressources naturelles dans les territoires indiens, pour lesquelles les tribus n’avaient jamais perçu de redevances. Si d’énormes progrès restent à faire pour améliorer la situation sociale et économique des réserves, force est de constater que le volontarisme du nouvel occupant de la Maison Blanche tranche avec l’attitude minimaliste de ses prédécesseurs.
Gregory Mauzé
11 février 2011
Source : michelcollon.info
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[1] http://www.freepeltiernow.org/LEGAL…
[2] http://membres.multimania.fr/freepe…
[3] Leonard Peltier, “ I Am Barack Obama’s Political Prisoner Now”, www.counterpunch.org
[4] http://www.culture-amerindiens.com/…;;
[5] « Un an de Barack Obama : le 44e président, vrai ou faux ami des Indiens-Américains ? », http://alterjournalisme.blogs.courr…
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