L’allégeance au roi et son cérémonial moyenâgeux font partie des ces lignes rouges que le pouvoir décrète en violation de la dignité humaine et des valeurs citoyennes.
Jamais la cérémonie d’allégeance au roi du Maroc, organisée au Palais royal pour couronner les festivités de la fête du trône, n’a fait l’objet d’autant de contestation. Jusqu’à présent, la Bay’a faisait partie des nombreuses sacralités que personne, ou presque, n’osait critiquer et encore moins remettre en question, ni sur le fond, ni dans la forme.
Pour le fond, ce concept, qui signifiait par le passé un contrat bilatéral entre gouvernants et gouvernés, avec des engagements réciproques, a été transformé par le discours officiel en acte de soumission absolue du peuple au roi, Commandeur des croyants.
Un rite sanctifié par le pouvoir
La notion de citoyen s’efface devant celle de sujet. Absente du texte constitutionnel, l’allégeance est revenue cette année dans le discours royal du 30 juillet qui la qualifia de sacrée, sachant que la sacralité a justement disparue de la nouvelle constitution (la personne du roi n’étant plus sacrée). Ce tour de passe-passe et de double langage a pour objet de vider la Constitution de sa substance et d’imposer l’allégeance comme un «machin» supra constitutionnel.
Pour ce qui est de la forme, l’allégeance est incarnée par une cérémonie humiliante: quelques milliers de notables massés sur la Grand-Place du palais royal, sous un soleil de plomb, s’inclinent devant le roi et son cheval en répétant le mouvement de génuflexion comme dans la prière musulmane.
Cette année, ce spectacle, ô combien dégradant pour la dignité de l’être humain, a inspiré des activistes, qui, dans le sillage du Mouvement du 20 février qui revendique une démocratie au Maroc, ont lancé sur Facebook l’initiative d’organiser une cérémonie symbolique d’allégeance à la dignité et la liberté.
Les forces de l’ordre ont investi les lieux et ont dispersé les manifestants avec une violence inouïe. Venus en très grand nombre (police, forces auxiliaires, force anti-émeutes avec casques et gourdins, agents en civil), leur effectif était disproportionné par rapport à la taille modeste de la manifestation. Militants, journalistes ou simples badauds ont été sciemment pris pour cible par les forces de l’ordre.
En dénonciation de cette répression, Abderrahim Jamai, ancien bâtonnier et membre de la commission royale de réforme de la justice, a adressé au Chef du gouvernement une lettre ouverte d’une rare véhémence:
«Si votre gouvernement était conscient de ses responsabilités, ses prérogatives et son engagement vis-à-vis des Marocains, vous auriez dû, le jour de la violente attaque sécuritaire et gouvernementale contre la liberté de protestation civique de citoyens pacifiques, proclamer votre colère au nom du peuple marocain contre les agissements de la police, et protester au nom des victimes dont le sang a coulé et la dignité a été froissée, et vous auriez dû ordonner à votre collègue le ministre de la Justice et des Libertés, au nom de la loi et des valeurs du droit et de la morale, et vu que le flagrant délit est manifeste, de procéder à l’arrestation des exécutants et leurs dirigeants et à leur tête le ministre de l’Intérieur et les responsables des organes de sécurité impliqués dans ce crime».
Les organes de défense de Droits de l’Homme ont exprimé leur indignation, y compris le Forum de la Dignité pour les Droits de l’Homme par la voix de son président Abdelali Hamieddine, membre du secrétariat général du Parti de la Justice et du Développement, formation politique qui dirige le gouvernement…
«Une entité mystérieuse gouverne le pays»
Une question demeure sans réponse: si le Premier ministre affirme ne pas être au courant de l’événement au point que la presse le traite de «figurant», et que le ministre de l’Intérieur dont dépend la police nie être intervenu et, qui a donc bien pu sonner la charge contre les manifestants? Elle renvoie à une question plus globale: qui gouverne réellement au Maroc?
L’attitude irresponsable du gouvernement -qui prouve que le centre de décision demeure le Palais royal- rappelle d’autres situations. Ainsi, Mohamed Yatim, premier vice-président de la chambre des représentants et membre dirigeant du PJD a avoué son impuissance et son indigence lors d’un meeting pour consoler des diplômés chômeurs tabassés par la police. Le quotidien Akhbar al Youm rapporte ses propos sidérants :
«Benkirane ne gouverne pas, il y a des lobbies et des organes qui gèrent un certain nombre de dossiers, nous ne disposons que de 27 % des sièges au parlement. Si nous en avions 50 % ou plus, nous aurions plus de liberté d’action. L’ordre de vous attaquer n’a pas émané du Chef du gouvernement, de même que celui de détruire certains bidonvilles, l’ordre a été donné par une entité mystérieuse que nous ne connaissons pas».
La couleur avait été annoncée quelques jours à peine après la victoire du PJD aux élections législatives de novembre 2011. Idrissi Abou Zaid, un des ténors du parti qui venait de rempiler pour un siège de député, a déclaré dans une interview à la presse le contraire de ce que claironnait son parti pendant la campagne électorale. Bonne gouvernance, Etat de droit, responsabilité…
Une fois la victoire en poche, son discours est devenu soudain plus réaliste :
«Le Gouvernement du PJD sera soumis à de fortes critiques et affrontera des exigences et des attentes qui dépassent le plafond du possible. Je comprendrais les deux protagonistes: d’un coté le gouvernement est cerné par une Constitution, des lois, des usages et des lignes rouges invisibles. De l’autre coté, tous ceux qui réclament l’amélioration de leurs conditions en un temps record, car la souffrance qu’ils endurent depuis l’aube de l’indépendance est immense».
Des lignes rouges invisibles
Ainsi donc, l’allégeance et son cérémonial moyenâgeux font partie des ces lignes rouges. Elle constitue, dans l’esprit des gardiens du temple, le socle de la légitimité de la monarchie au Maroc. Toute tentative de la dépoussiérer est perçue comme un danger qu’il faut combattre avec férocité. En brutalisant les partisans de «l’allégeance à la liberté et à la dignité», ils ont obtenu le contraire du but recherché : plutôt que d’étouffer le sujet, ils ont alimenté un débat fort utile. La Bey’a n’est plus aussi taboue qu’avant, et tant mieux. Un sit-in similaire à celui de Rabat est ainsi programmé à Paris par la communauté marocaine.
Les initiateurs n’ont pas manqué de remercier, avec ironie, aussi bien le Chef du gouvernement, que son ministre de l’Intérieur en écrivant dans une lettre ouverte :
« Il nous est particulièrement agréable, nous, organisateurs de la Cérémonie d’allégeance et de loyauté à la liberté et à la dignité à Rabat le 22 Août 2012 de vous exprimer nos sincères remerciements et notre profonde gratitude suite à votre louable effort qui a eu un impact décisif pour le succès de notre modeste initiative. Cette intervention musclée a suscité l’attention et aussi l’indignation des médias marocains et internationaux (… ) montre à quel point les valeurs de liberté et de citoyenneté s’approchent de la victoire alors que la logique des sujets soumis et enchaînés dans une relation maître-esclave souffre d’une misère intellectuelle et se trouve piégée dans une impasse morale».Tout est dit.
par Ahmed Benseddik
le 04/09/2012
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Ahmed Benseddik
Ancien Directeur executif de l’Association du «1200ème anniversaire de la fondation de Fès» et directeur des Thermes de Moulay Yacoub, il a été le premier Marocain à rompre publiquement son allégeance au roi en juillet 2011.
http://www.slateafrique.com/93945/tribune-maroc-allegeance-au-roi-ce-machin
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