Assiste-t-on à une offensive d’envergure menée par la branche militaire du Hezbollah? Malgré les assurances de son secrétaire général qui a toujours nié la présence d’éléments du Hezbollah en Syrie, le flou qu’il entretient sur les circonstances de la mort de deux combattants inhumés la semaine dernière, accrédite cette thèse. Quelques jours plus tard, Israël accusait le parti de Dieu d’avoir envoyé un drone sur son territoire.
«Le commandant Ali Hussein Nassif est mort en martyr en accomplissant son devoir de jihadiste». C’est en ces termes que le Hezbollah a annoncé le 1er octobre, via les médias qui lui sont affiliés, les funérailles de son combattant, sans donner plus de détails sur les circonstances de sa mort. La présence de plusieurs hauts responsables du Hezbollah lors de la cérémonie qui a précédé sa mise en terre dans son village natal de Bouday, dans la vallée de la Békaa, ainsi que le déploiement de miliciens armés au milieu du cortège funèbre, ne laissent que peu de doute sur l’importance de ce cadre militaire. Celui que l’on surnommait Abou Abbas occupait un rang très élevé dans la hiérarchie de la branche armée du parti. Le lendemain, la chaîne Al-Manar diffusait les funérailles à Baalbeck d’un autre combattant, Zein El-Abidine Moustafa. Le dernier combattant à avoir été l’objet d’une telle cérémonie était Moussa Ali Chahimi, inhumé le 10 août dernier dans le jardin des Martyrs, dans le quartier de Ghobeiry, dans la banlieue sud de Beyrouth. Nassif, Moustafa et Chahimi ont un point commun. Le Hezbollah n’a jamais communiqué sur les circonstances de leur mort. D’autres l’ont fait pour lui.
Discret verrouillage
Quelques heures après leur inhumation, plusieurs témoignages à Baalbeck et à Bouday, ont révélé qu’Abou Abbas et Moustafa auraient été tués par une roquette dans une maison «située dans une ville syrienne frontalière du Liban».Un autre membre du Hezbollah, présent à leurs côtés, aurait également péri dans l’attaque. Dans son édition du 2 octobre, le quotidien britannique The Guardian explique que Nassif aurait été tué près de Homs et que son corps, selon une source gouvernementale libanaise, aurait été rapatrié via le poste-frontière de Masnaa. Le puzzle prend forme le lendemain avec la diffusion sur la plateforme Youtube d’une vidéo postée par la brigade Al-Farouk opérant à Qusair, ville située sur la route de Homs, à 10 kilomètres de la frontière libano-syrienne. Dans cette vidéo, la brigade revendique l’assassinat d’Abou Abbas ainsi que celui d’autres combattants du Hezbollah «au cours d’une opération contre un barrage» au cœur de leur champ d’action. Le porte-parole de la brigade à la barbe très fournie explique cependant que l’armée syrienne est parvenue à récupérer les corps des combattants libanais «dans le but d’effacer toute trace de leur présence en Syrie».
Ces derniers jours a donc sauté un secret de polichinelle que le Hezbollah a eu du mal à garder. Des combattants du parti opèreraient aujourd’hui en Syrie. La rébellion et ses soutiens libanais le disent depuis des mois. Le mois dernier, l’administration américaine avait formellement accusé le parti d’apporter «une aide au régime syrien», ce que ce dernier a toujours nié. Des sources officielles libanaises, citées par le Washington Post dans son édition du 27 septembre, expliquent que le soutien du Hezbollah au régime Assad s’est intensifié depuis l’attentat du 18 juin dernier à Damas qui a notamment coûté la vie à Assef Chawkat. Des allégations étayées par la multiplication pendant l’été, dans les villages du Sud et de la Békaa, des inhumations de combattants du Hezbollah, enterrés en martyrs, dans la discrétion la plus totale. Les familles des victimes sont invitées à ne pas en savoir plus.
Régionalisation du conflit
Bien que le parti refuse jusqu’à présent de réagir à toutes ces présomptions, la médiatisation des funérailles d’Abou Abbas, filmées et diffusées par les médias qui lui sont proches, est un signe. Sans doute était-il devenu difficile pour le Hezbollah de contrôler les fuites et les interrogations des familles, de ses partisans, de ses partenaires et des services de renseignements étrangers. Une façon comme une autre d’acquiescer sans confirmer. Sur la base de déclarations de sources proches du Hezbollah, de membres de l’Armée syrienne libre (ASL) et de diplomates occidentaux, le quotidien britannique The Times révèle que 1500 combattants du Hezbollah sont actuellement déployés sur le territoire syrien.
Se dessine ainsi en Syrie un conflit d’ordre régional. Face à la rébellion syrienne, financée et armée par la troïka sunnite composée de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar, se dressent les forces agissantes et coalisées de l’axe syro-iranien en soutien d’un allié stratégique qui ne doit pas tomber aux mains de l’Occident. Le 3 octobre, l’état-major de l’ASL publiait un communiqué dans lequel il menace «les groupuscules d’Assad et ses chabbihas, ainsi que les milices iraniennes des Gardiens de la Révolution, du Hezbollah libanais et de l’armée du Mehdi irakienne». Déjà présente, la communautarisation du conflit pourrait s’intensifier entre chiites et sunnites qui se disputent le contrôle de la région. Au Liban, l’engagement militaire du Hezbollah aux côtés du régime contre la majorité sunnite pourrait bien envenimer la situation. Mais, jusqu’à présent, le Hezbollah, présent au gouvernement et garant de ce fait de la stabilité du pays, s’est toujours gardé d’attiser ces tensions-là, prélude à une déstabilisation du pays qui ne sied pas à ses intérêts. D’autant que le parti est toujours actif à la frontière sud.
Israël en alerte
Samedi matin, les radars de surveillance militaire israéliens détectent au large de la Méditerranée, dans un secteur proche de Gaza, un drone qui a réussi à entrer dans l’espace aérien d’Israël. Pendant 20 minutes, les opérateurs radar ont lutté à distance contre les pilotes du drone pour prendre le contrôle de l’appareil. Incapable de le maîtriser, le commandement de l’armée israélienne a fini par l’abattre au-dessus de la forêt de Yatir, dans le sud de la région du Mont Hébron. L’armée israélienne a écarté l’hypothèse d’un drone venu de la bande de Gaza, et examine la possibilité qu’il ait été lancé par le Hezbollah. Lundi, la presse israélienne développait les mêmes conclusions. «De tous les acteurs hostiles qui cherchent à porter atteinte à la sécurité nationale israélienne, deux seulement ont la capacité et l’expérience pour envoyer des drones dans l’espace aérien national: l’Iran et son mandataire chiite, le Hezbollah», expliquait lundi The Jerusalem Post. Pour le député Miri Regev, ancien porte-parole de l’armée israélienne, il s’agit d’un «drone iranien lancé par le Hezbollah».
Certains responsables israéliens cités par les médias locaux craignent que la mission de l’aéronef consistait en fait à tester les moyens de détection et le temps de réaction de l’armée israélienne. Certains redoutent même qu’il ait eu le temps de filmer la centrale nucléaire israélienne de Dimona, une zone sensible et stratégique sous haute surveillance, ce que toutefois l’armée dément. L’état-major iranien et le secrétaire général du Hezbollah ont tous deux désigné la centrale de Dimona comme une cible privilégiée. Ce lundi, un haut responsable militaire iranien a commenté, non sans ironie, l’incursion du drone dans le sud de l’Etat hébreu. Jamaluddin Aberoumand, coordinateur adjoint des Gardiens de la Révolution islamique, a en effet affirmé que l’affaire de l’aéronef illustre la «vulnérabilité de la défense anti-aérienne israélienne».
Après plusieurs mois de discrétion voire de silence radio, la branche militaire du Hezbollah est à nouveau sur le devant de la scène. Bien que le parti ne soit jamais vraiment sorti des écrans radar de la communauté internationale, il s’était, ces derniers temps, toujours astreint à ne pas attirer l’attention. Mais les enjeux du conflit en Syrie étaient sans doute trop importants pour le parti mais aussi pour ses parrains iraniens. Après avoir avancé ses pions et stabilisé la scène politique locale, le voici aujourd’hui en train de s’atteler à l’ouvrage dans un contexte particulier qui l’oblige à s’impliquer davantage. A ses yeux et au vu des forces en présence, se joue en Syrie non moins la pérennité du projet de résistance face à Israël, mis à mal par le coup de force des puissances sunnites de la région. Depuis sa prise du pouvoir, le Hezbollah a su manœuvrer en épargnant au Liban les conséquences qu’aurait pu avoir sa présence dans le gouvernement. Mais les défis auxquels le Hezbollah est confronté, tant sur le plan politique que communautaire, ne font-ils pas finir par contraindre le parti à faire un choix?
Julien Abi-Ramia
Une cache d’armes explose
Mercredi 3 octobre, dans le village de Nabichit, situé dans le sud de la Békaa, à vingt kilomètres au nord-est de Zahlé, une série d’explosions a été entendue par les habitants jusqu’à Khraybe et Khodr, à cinq kilomètres à la ronde. Selon le Hezbollah, il s’agit d’un « ancien dépôt de munitions, d’obus et de vestiges des bombardements israéliens de 2006 dans la région ». Le bilan est extrêmement lourd, les dizaines d’ambulances et la forte présence de militants du Hezbollah sont là pour témoigner. Trois de ses membres ont trouvé la mort et plusieurs autres ont été blessés. Les dégâts matériels sont importants. L’ANI rapporte qu’une maison a été entièrement détruite et plusieurs autres bâtiments ont été endommagés.
Drones : Bataille technico-juridique
Le drone furtif qui a violé le réseau israélien de sécurité aérienne et qui a fait la une des médias à travers le monde, le samedi 6 octobre, est à inscrire au chapitre d’un affrontement technico-juridique avec les Etats-Unis, comme l’affirme un expert militaire à la retraite. Il s’agit d’empêcher Washington de continuer à utiliser les robots aériens de façon arbitraire. L’expert dévoile l’échec des négociations menées secrètement entre les grandes puissances en vue d’encadrer l’usage de ces drones via l’élaboration de lois internationales définissant les conditions et les circonstances de leur usage, sachant que Washington en possède quelque 10000 et souhaite en multiplier le nombre. Les progrès technologiques, explique l’expert, font de ces robots aériens des armes capables de détruire des renforts, des véhicules militaires et des infrastructures et d’exécuter la mise à mort aérienne de groupes et d’individus. Le spécialiste pense que ce n’est pas par hasard que la violation de l’espace aérien israélien a coïncidé avec la commémoration de la guerre d’octobre. Les drones israéliens qui attaquent le Liban font partie d’un large réseau robotique aérien américain qui cible des objectifs situés sur un grand axe arabo-islamique qui s’étend du Mali et de la Libye jusqu’au Pakistan, en passant par le Yémen. Ces engins violent la souveraineté de ces pays en dehors de toute légitimité internationale et parfois de connivence avec les gouvernements en place. La même source révèle qu’un massacre qui a fait 13 morts et quelque 20 blessés a eu lieu au Yémen, le mois passé, lorsque deux convois ont été bombarbés «par erreur» par les Américains. Les auteurs de cet «accident» qui n’a pas été médiatisé, ne peuvent pas être traînés devant la justice internationale ou locale vu le décalage géographique entre l’emplacement du drone et le lieu à partir duquel il a été télécommandé. La réussite du robot «mystérieux» à traverser quelque 52 km entre la mer de Gaza du côté ouest jusqu’au sud de la Galilée du côté est, est le fruit de l’abattement par les Iraniens du drone furtif fort sophistiqué, le RQ 170, le 4 décembre 2011.
Magazine
Nº 2866 du vendredi 12 octobre 2012
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