Au Portugal, contre toute attente, le Parti socialiste, soutenu par l’ensemble de la gauche, s’apprête à mettre fin à l’austérité qui fait suffoquer le pays depuis plus de quatre ans.
La révolution tranquille. Au Portugal, derrière les discours tempérés, les poignées de main cordiales, voire les sourires de circonstance, tout fout le camp. En douceur. Antonio Costa aura donc pris son temps, multiplié les pourparlers, mais n’aura pas tremblé : avec le soutien de l’ensemble des partis de gauche, le chef de file des socialistes s’apprête à faire tomber la coalition de droite, « championne de l’austérité », au pouvoir depuis quatre ans via une motion de rejet votée demain à l’Assemblée.
Bien qu’arrivés en tête, avec 36,8% des voix, lors des élections législatives, début octobre, l’actuel premier ministre, Pedro Passos Coelho, et son très conservateur vice-premier ministre, Paulo Portas, ont en effet perdu le sésame pour gouverner ; la majorité au parlement.
Désormais tributaire d’une alliance avec le Parti socialiste, arrivé bon deuxième (32,4% des suffrages), la droite disait officiellement avoir tout fait pour parvenir à un compromis avec Antonio Costa. Louant son « esprit d’ouverture » et sa capacité au « dialogue », Pedro Passos Coelho avait en réalité très peu cédé sur son programme qui laisse, une fois encore, la part belle aux mesures d’austérité.
Las, contre toute attente, Antonio Costa s’est progressivement tourné vers sa gauche. Par petites touches, entre paroles sibyllines et positions franches, le Parti communiste portugais (PCP), le Bloco de esquerda (BE), le Parti de gauche portugais, les Verts et le PS, sont arrivés ce week-end à un accord, malgré l’appel très solennel du président de la République, Cavaco Silva, qui chargeait son poulain, Pedro Passos Coelho, de former un gouvernement, dans la foulée des élections. En vain.
Après un mois de négociations, dont le détail avait jusqu’ici peu fuité dans la presse, c’est sur Twitter que la charismatique leader du Bloco de esquera, Catarina Martins, a annoncé, dès vendredi soir, la signature de l’accord à gauche. Priorité à « l’emploi », aux « salaires » et aux « pensions » promet-elle.
Antonio Costa lui emboîte quant à lui le pas, sur un autre ton, le lendemain, samedi 7 novembre, devant la Commission nationale du parti appelée à valider l’accord, finalement adopté par une large majorité en dépit de quelques voix dissonantes. Soucieux de légitimer son choix, le premier secrétaire du PS n’a alors pas hésité à revenir sur les dernières alliances politiques à droite quitte à distribuer petites piques et invectives. « Nous savons que nous ne sommes pas face à des responsables [notamment ceux du PCP et du BE] prêts à se vendre, et à vendre leurs partis en échange de quelques sièges. » Pas comme le petit manège qui avait eu lieu en 2002 entre le PSD, de centre droit, parti du Premier ministre, et le CDS, parti conservateur, du vice-premier ministre, lors duquel des places au gouvernement avait été monnayées.
L’intérêt des travailleurs
« Nous ne manquerons pas de soutenir toutes les mesures qui vont dans le sens des intérêts des travailleurs », confirme à son tour, dimanche 8 novembre, le Parti communiste, à l’occasion de son Comité central. « Nous n’imposerons pas notre programme mais nous ne nous en affranchirons pas pour autant », prévient cependant le chef du parti, Jerónimo de Sousa.
Un avertissement à Antonio Costa. S’il n’est plus question dans l’accord signé de sortie de l’euro ou encore de renégociation de la dette, mesures chères à la gauche de la gauche, il ne s’agit pas non plus de donner au PS carte blanche. Le BE et le PCP s’engagent certes à ne pas adopter des motions de censure au cours des prochains débats parlementaires, autrement dit à garantir dans la durée la stabilité du prochain mandat de Antonio Costa, mais ils ne disent pas encore s’ils voteront le budget d’Etat 2016.
Doivent par exemple y figurer les garanties que de nouvelles coupes n’interviendront pas dans les pensions de retraite, ni dans le SMIC qui devrait augmenter graduellement dès 2016 (530 euros mensuels au 1er janvier 2016 contre 505 euros sans le 13e mois actuellement) pour atteindre les 600 euros en 2019. Les salaires des fonctionnaires devront également revenir progressivement à leur valeur initiale. Les privatisations seront elles-aussi freinées, comme celle de la compagnie aérienne nationale, la TAP. Des mesures symboliques, accompagnées par un paquet social incluant, entre autres la baisse de la TVA, dans les secteurs comme la restauration, ou encore dans le domaine de l’Education, la baisse du nombre d’élèves par classe, la baisse des prix exorbitants des manuels scolaires etc. Ainsi l’austérité telle que l’a connue le Portugal vit-elle paisiblement ses dernières heures…
Patricia Neves
Lundi 09 Novembre 2015 à 15:30
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