La région – et peut-être le monde – a les yeux fixés sur Daech et cette organisation n’en finit pas de surprendre tous ceux qui cherchent à comprendre son projet et ses mobiles. Il y a quelques semaines, le président américain Barack Obama reconnaissait que son administration avait sous-estimé la puissance de ce groupe. Mais on n’avait pas encore découvert qu’il pouvait s’être doté d’armes chimiques. Aujourd’hui, c’est une question qui hante les milieux diplomatiques et militaires alors que certaines informations circulent sur l’utilisation de gaz chimique par Daech dans certaines régions en Irak et en Syrie. L’affaire est visiblement prise au sérieux et s’il n’y a pas encore de confirmation claire, les soupçons se précisent au point qu’une longue étude sur le sujet a été publiée par le New York Times le 14 octobre dernier. Cette étude, en raison de sa minutie et de sa longueur et surtout à cause de la délicatesse du sujet, n’a pas fait grand bruit dans le monde médiatique. Mais une source diplomatique arabe en poste à Beyrouth estime qu’elle est de la plus haute importance et qu’elle peut changer la donne dans la région. Si, en effet, les combattants de Daech possédaient l’arme chimique, cela constituerait un changement dans le rapport de force militaire, surtout après la destruction des armes chimiques syriennes. Ce serait en tout cas un développement dont il faudra tenir compte sur le terrain.
Sans s’aventurer jusqu’à lancer de telles affirmations, le quotidien new-yorkais se penche plutôt sur les armes chimiques en elles-mêmes et comment elles ont pu arriver en Irak, alors que les soldats américains y sont restés de longues années. C’est ainsi qu’on découvre qu’il y avait un complexe pour la fabrication d’armes chimiques appelé « al-Mouthanna » autour de Samarra. Selon des témoins cités par le quotidien, ce complexe serait tombé aux mains des combattants de Daech. Le New York Times publie aussi des cartes localisant la présence probable de dépôts d’armes et de munitions chimiques à proximité des zones contrôlées par Daech. Ces armes et ces munitions existeraient depuis très longtemps et remonteraient à un programme qui a été développé du temps de Saddam Hussein dans les années 80 en pleine guerre entre l’Irak et l’Iran. À cette époque, l’Occident et en particulier les Américains avaient aidé Saddam Hussein dans le développement de ce programme parce qu’ils voulaient l’aider à briser la nouvelle République islamique d’Iran. Ce programme était toutefois resté secret et personne n’en avait parlé à l’époque. Dans les années 90, les armes avaient été même officiellement détruites après la guerre du Golfe de 1991. Ce n’est donc pas sur ce programme que s’était basée l’administration de George Bush pour lancer son invasion de l’Irak en 2003 après les événements du 11-Septembre, puisqu’en principe, tout avait été détruit. Il semblerait toutefois que le régime de Saddam Hussein avait fabriqué du gaz sarin et du gaz moutarde et les aurait dissimulés avec des dépôts d’armes conventionnelles. En tout cas, entre 2004 et 2011, des soldats américains ont été victimes d’intoxications dues à des armes chimiques en Irak, rapporte le New York Times, même si cela n’avait jamais été officiellement reconnu.
Le programme avait certes été abandonné et la fabrication des armes remontait à avant 1991, mais, aujourd’hui, le chaos qui sévit dans le pays et la menace que représente Daech rendent la question plus grave et dangereuse que jamais. Selon le New York Times, les responsables américains affirment que le programme et les munitions sont devenus obsolètes et ne représentent plus une menace, mais les experts militaires pensent, au contraire, que si ces équipements tombent entre les mains des groupes jihadistes, ils peuvent servir à la fabrication de bombes. Selon un expert militaire, cité par le New York Times, ces armes existaient depuis longtemps, mais elles n’ont pas été utilisées en tant qu’armes de destruction massive. Mais cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas dangereuses…
L’enquête n’est certes pas finie et l’affaire est appelée à se développer, mais si le Liban n’est pas directement concerné, il doit quand même, estime le diplomate arabe, faire preuve de vigilance, car Daech est bien plus nuisible qu’on ne l’avait cru au début. Il ne s’agit nullement d’un phénomène éphémère, mais d’un vaste projet qui est en train de se doter d’une autonomie propre et qui a son agenda bien à lui.
Scarlett HADDAD
3 Nov.2014
Source :
www.lorientlejour.com/article/894204/les-revelations-du-new-york-times-.html
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