L’arrestation du numéro 2 présumé des Brigades Abdallah Azzam, Jamal Daftardar, par les services de renseignements de l’armée, peu après l’arrestation du chef du groupe Maged al-Maged, montre deux choses : d’une part, que l’armée est en train de marquer des points contre les cellules terroristes dans la mouvance d’el-Qaëda implantées au Liban, et, d’autre part, que ces cellules sont plus importantes et plus structurées qu’on ne le croie puisque, à peine un chef est arrêté qu’un autre est aussitôt désigné. De plus, chaque annonce d’une arrestation importante par les services de sécurité est quasiment suivie d’une explosion ou d’une agression contre la population ou l’armée. Ce qui montre que les groupes en question sont en mesure de réagir rapidement, même si l’importance de la riposte varie selon les moyens disponibles. Sans que nul ne le déclare ouvertement, le Liban fait donc désormais face à une nouvelle sorte de guerre, contre les groupes takfiristes, dont certains noyaux étaient présents depuis probablement un certain temps, mais dont le gros des troupes vient désormais de Syrie. Ce n’est donc plus un secret pour personne que la Syrie est devenue la destination privilégiée des jihadistes du monde entier. Si les groupes rivaux se battent entre eux dans le nord du pays et à la frontière turque – faisant d’ailleurs plus de morts en deux semaines que les combats contre le régime en plusieurs mois –, dans la zone proche de la frontière libanaise, ils se développent et ont de plus en plus besoin d’un espace plus grand qui déborde sur le territoire libanais.
Les services libanais sont donc en état d’alerte permanente et ils bénéficient parfois d’un coup de main, en matière d’informations spécifiques (comme ce fut le cas avec Maged al-Maged), de la part de services internationaux. Mais la mouvance d’el-Qaëda fait désormais l’objet d’un intérêt généralisé, tant la menace qu’elle représente s’élargit. Une source sécuritaire haut placée révèle ainsi que la plupart des services européens et occidentaux cherchent aujourd’hui à décortiquer le phénomène qui est perçu comme une menace pour la sécurité du monde et pas seulement de la Syrie, du Liban ou de l’Irak. La source de sécurité précitée parle ainsi d’une « internationale du jihad », qu’elle appelle aussi « l’armée wahhabite secrète », qui ne relève pas d’un commandement précis ni d’un État. Mais elle se développe à partir des thèses wahhabites. Il ne s’agit donc plus de réseaux que l’on pourrait à la limite démanteler, mais d’une véritable armée qui se développe dans le monde par le biais de l’expansion des associations islamistes d’obédience salafiste.
Celles-ci trouvent leurs recrues sur le Net où les associations visant à répandre la parole « dite de l’islam » prolifèrent. La prise de contact se fait sur la Toile, où les jeunes à la recherche d’une vérité ou d’un message directeur sont des proies faciles, d’autant que par ce biais, les associations peuvent atteindre les jeunes musulmans du monde entier, qu’ils soient à Volgograd, en Indonésie, au Pakistan ou en Chine. Sans parler bien sûr du Moyen-Orient. Ces associations utilisent aussi un réseau de banques, d’agences de développement islamiques et même d’agences qui organisent des pèlerinages religieux, sans parler des chaînes de télévision religieuses qui diffusent en permanence les « préceptes » de l’islam. Selon la source sécuritaire haut placée, il s’agit donc d’un véritable lavage de cerveau qui est effectué auprès des jeunes et qui finit par les transformer en jihadistes prêts à tuer pour « le triomphe de l’islam » et surtout pour aller au paradis… La source précise aussi que si, au départ, el-Qaëda était une création des services secrets saoudiens et américains pour lutter contre l’occupation soviétique en Afghanistan, il aurait désormais ses propres réseaux et ses sources de financement autonomes qui profiteraient indirectement de certaines structures déjà existantes comme « la section de la sécurité de la pensée » au sein du ministère saoudien de l’Intérieur qui favorise un islam rigide, pour se développer au point de devenir quasiment incontrôlables. Pour donner un exemple concluant, la source rappelle l’histoire de Houman al-Balaoui, ce Jordano-Saoudien recruté par les services étrangers et devenu un des chefs d’el-Qaëda, qui a fini par se faire sauter en pleine réunion de membres de la CIA en Afghanistan. À l’époque, on avait parlé d’un incident isolé, mais les services concernés craignent de plus en plus une généralisation de la menace, surtout avec la confusion qui règne désormais dans la région et qui pousse un pays comme la Turquie, pourtant l’un des plus féroces adversaires du régime syrien, à revoir aujourd’hui sa stratégie à l’égard du conflit en Syrie. Le président Abdallah Gül a ainsi déclaré récemment qu’il fallait adopter une politique qui soit dans l’intérêt de tous les pays de la région. La menace serait donc en train de s’amplifier, et dans les milieux sécuritaires, il est de plus en plus question de lutter contre « l’internationale du terrorisme », qui se serait développée un peu partout, mais dont les lieux privilégiés sont aujourd’hui la Syrie, l’Irak et à un degré heureusement moindre le Liban.
Scarlett HADDAD
17 janv. 2014
source :
www.lorientlejour.com/article/850734/les-mysteres-et-les-menaces-del-qaeda.html
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