Lors de la cérémonie d’adieux à ses partisans mardi 10 janvier à Chicago, Barack Obama a défendu son bilan politique avec une sérénité déconcertante.
Devant un parterre de 20 000 supporters, le 44e président des Etats-Unis a égrené les succès de son mandat et mis en garde contre les dangers qui guettent l’Amérique à quelques jours de la passation de pouvoir.
Si Barack Obama semble tirer son épingle du jeu avec son programme de relance économique, de sauvetage de l’industrie automobile et les avancées sociétales (généralisation du mariage homosexuel), son bilan est surtout marqué par l’absence criante de progrès sur la question raciale. En huit années, l’euphorie politique, qui a accompagné l’entrée en scène du Premier président noir des Etats-unis, a laissé place à une profonde désillusion de la communauté Afro-américaine.
Obama qui se targue d’avoir ramené la courbe du chômage à 5,1 % en 2015 – quand 9,2 % des Afro-américains restent sans emploi -n’a incarné aucune rupture, sinon symbolique, sur l’enjeu de la condition noire. Les statistiques confirment le poids des discriminations raciales en matière de santé, d’accès à l’emploi de la composante noire, également cible privilégiée de la violence policière comme l’ont illustré les drames de Ferguson et de Baltimore.
La réalité des inégalités, profondément enracinées dément la fiction d’une l’Amérique post-raciale, celle d’une nation en apparence fondée sur le melting-pot. « No he didn’t », le président Obama n’a pas transformé une société historiquement et structurellement génératrice d’inégalités raciales, en dépit de sa success story individuelle et de celle d’une nouvelle classe d’entrepreneurs politiques noirs, produit du système capitaliste néolibéral.
Mais qu’importe puisque l’histoire retiendra que, par son pragmatisme, Obama a imposé un nouveau cap en révisant les priorités de la politique étrangère et initié un rapprochement avec les « Rogue States » de l’administration précédente: à son actif, l’accord historique avec l’Iran et la normalisation des relations avec Cuba. En revanche, c’est le contexte objectif de ce « tournant » qui pourrait progressivement s’effacer de la mémoire politique américaine.
Le président américain a en effet été un révélateur remarquable des contradictions internes d’une puissance inexorablement sur la voie du déclin. L’entretien controversé de Barak Obama, publié par le Magazine The Atlantic en Mars 2016, a fait bruyant étalage des divergences de Washington avec ses alliés stratégiques. Le président s’était alors dit « fier » de ne pas avoir bombardé le régime syrien, mentionnant au passage la responsabilité de son allié saoudien dans la diffusion de l’idéologie wahhabite, et lui reprochant son intransigeance face à l’Iran ainsi que son aventurisme au Yémen.
Ses critiques ont également visé la Turquie et Israël dissipant toute illusion sur la capacité des Etats-Unis à imposer par leur puissance et leur influence leurs vues stratégiques dans leur propre camp. Les vives tensions entre Washington et Riyad, Ankara, le Caire, ou Tel Aviv sont autant d’illustrations frappantes de l’autonomisation progressive des alliés traditionnels de la politique américaine, conséquence d’un vide de puissance au Moyen-orient que chaque acteur aujourd’hui cherche à occuper.
14 ans après l’intervention américaine en Afghanistan, l’administration Obama, craignant de laisser en héritage un champs de ruines, a renforcé son dispositif militaire face au retour en force des Talibans. La gestion contradictoire de la crise syrienne a également renforcé le discrédit dont a souffert l’administration. D’un coté, l’incapacité de Washington à créer une force de combattants « modérés » a conduit au renforcement du partenariat avec la branche syrienne du PKK, parti kurde reconnu pourtant comme organisation terroriste par les Etats-unis et l’OTAN. De l’autre, la dynamique de la guerre d’usure en Syrie qui a amené le Pentagone à tenir en échec tout accord politique visant à la neutralisation le front al-Nosra, n’a pas empêché une victoire stratégique de l’armée syrienne et ses alliés à Alep.
Quant à l’action de l’administration Obama sur le terrain du conflit en Palestine, épicentre de l’arc de crise régional, il serait vain de rappeler son inexistence. Le président américain n’est en effet jamais parvenu à tordre le bras au premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou pour lui arracher la moindre concession sur l’arrêt de la colonisation, laissant ainsi le soin aux Français d’organiser la mascarade d’une conférence de paix en mai 2016 et en janvier 2017. Le mandat d’Obama aura montré la disparition du consensus stratégique global dans un monde en phase de recomposition, et l’entrée dans l’ère de l’incertitude géopolitique.
Lina Kennouche | 12 janvier 2017
Lina Kennouche, doctorante en sciences politique à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, collabore avec le quotidien libanais arabophone al-Akbar (depuis la fermeture d’Al-Safir).
Source: http://arretsurinfo.ch/lere-obama-la-fin-dune-illusion/